webINTIM 1

À propos du questionnaire webINTIM : la construction - 1

Voici un post destiné à être probablement updaté régulièrement durant les prochaines semaines, puisqu'il s'agit d'y organiser une sorte de F.A.Q. du questionnaire webINTIM portant sur les usages amoureux, affectifs et/ou sexuels du web (principalement 2.0) et remplissable sur sociographie.fr. En effet, après avoir mis en ligne le questionnaire en fin de semaine dernière, j'ai reçu des questions variées, dont quelques unes étaient récurrentes, et parmi ces dernières, certaines inquiètes ou énervées. Ce qui est très intéressant dans ces retours c'est qu'ils discutent une partie des énoncés publiés dans le questionnaire, et interrogent tout autant la façon dont je les ai choisis, que, plus largement, ce qu'est un questionnaire, son caractère normatif, sa nature de dispositif technique, ses objectifs scientifiques, etc.

L'infrastructure d'un questionnaire auto-administrable en ligne

Ces retours sont très importants pour moi, car ils font suite à une série de réflexions particulièrement tendues lors de la construction du questionnaire au début de l'été dernier. Il faut bien comprendre comment un tel questionnaire arrive matériellement en ligne. D'abord, c'est la première fois que je travaille seul sur un questionnaire, et j'ai découvert une nouvelle logistique puisque j'ai plutôt l'habitude de travailler sur des données produites sur le web, qui existent déjà dans des bases de données, ordonnées dans un ordre spécifique qui ne m'est pas adapté a priori. Quand on se situe au point de départ de la production des données, c'est une tout autre affaire, puisque l'on doit dresser le cadre de production de ces données. J'ai conçu ainsi en quelques jours les axes principaux, les objectifs scientifiques, etc. Ensuite j'ai cherché une plateforme, un logiciel, qui me permettrait de construire les questions à partir de modèles de questions (comme dans google-form, si vous voulez, mais en vraiment mieux, et sans exploitation des données par ggggle). Heureusement, le monde du logiciel libre regorge d'outils plus intéressants les uns que les autres, et LimeSurvey a trouvé rapidement grâce à mes yeux. Alors que je m'apprêtais à installer un serveur et tout le bazar pour l'héberger, j'ai en plus découvert que la fac de Nantes, là où je prépare la thèse qui requiert le questionnaire, me permettait de bénéficier d'une installation déjà toute faite (le rêve !).

J'ai donc entamé la seconde partie du travail, produire et coder les questions une à une, les refaire, les reformuler etc. Et j'ai lancé une première période de test, auprès de personnes de mon entourage, les pus variées possibles, sur leurs pratiques et leurs connaissances techniques, aussi, afin de tester tout autant la pertinence des questions que l'ergonomie du questionnaire. les premiers retours ont été particulièrement amusant des choses qu'il m'avait fallu plusieurs jours pour formuler passant sans problème et des aspects absolument insignifiants de mes questions devenant pour certain.e.s sources d'interrogation ou de perplexité (oui, l'usage de "célibataire" et très très variable suivant les situations matrimoniales, parentales, etc.). Cependant, avec les aller-retours, les commentaires, les discussions, j'ai réorienté largement certaines thématiques et certaines questions.

J'ai fait appel à un collègue qui, gentiment, entre 3 réunions et 2 surveillances d'exams, m'a rédigé une page d'accueil responsive pendant que je corrigeais les dizaines de problèmes dans le questionnaire. Au fur et à mesure que j'avançais, mes questions se restructuraient, se scindaient en plusieurs autres, changeaient de forme (d'une liste cliquable à un tableau, etc.), et ainsi de suite. Surtout, alors que j'ai choisi une forme un peu étrange en sociologie, qui consiste à demander aux répondant·es de cocher des propositions avec lesquelles iels sont d'accord, les alternatives à chaque proposition étaient particulièrement nombreuses. Sauf que, l'air de rien, ce sont aussi des années de lectures et de terrains sur les cultures sexuelles, leurs politiques, leurs vocabulaires, qui participent à construire ces questions, et à choisir ces propositions, j'y reviendrai plus loin. J'ai demandé alors l'avis de collègues spécialisé·es soit en méthodes quantitatives soit en socio des sexualités, ou les deux d'un coup, collègues qui ont patiemment discuté mes choix, et... rebelote, j'ai repris la totalité du questionnaire afin de retravailler des aspects que j'avais complètement oubliés en cours de route.

Les questions, à proprement parler

Enfin, il a fallu coder l'arborescence des questions, qui fait que, chaque fois que quelqu'un répond A- à une question, la question suivante sera potentiellement différente de celle qu'obtiendra une personne qui aurait répondu B- à la première question. Un sacré bazar, mais c'est aussi le moment où l'on comprend les logiques les plus subtiles du logiciel. Encore deux trois tests, et 4 mois plus tard (et un chapitre de thèse au milieu), les réponses ont commencé à arriver (#JOIE!). Au milieu de ces problèmes techniques, logistiques, et méthodologiques, se jouent d'autres enjeux, d'autres rapports de forces, d'autres tensions, parmi lesquels on peut lister : l'usage de catégories descriptives adéquates, la lisibilité des questions par des personnes qui ne partagent pas mes connaissances sur certains thèmes ou certains éléments de cultures sexuelles et/ou sentimentales, l'expérience que le remplissage peut engager pour les répondant.e.s, puisque souvent celui-ci oblige à se positionner sur des points pas ou peu réfléchis (cela n'empêche pas de vivre ! :-) ), et ainsi de suite.

En effet, j'ai du opérer des choix qui la plupart du temps ne me convenaient pas personnellement, m'obligeant à beaucoup de négociations syntaxiques, thématiques, et sémantiques, pour générer des données que j'espère riches à analyser. Les principaux foyers de négociation ont été les suivants :

  • utiliser un vocabulaire qui soit compréhensible par tout le monde tout en sachant que la variété des cultures sexuelles engage des vocabulaires, presque des jargons, et des univers entiers, relativement distincts voire en totale contradiction ou ouvertement en conflit les uns avec les autres.
  • construire un questionnaire qui soit remplissable par le plus grand nombre, sans évacuer pour autant les expériences singulières ou minoritaires sous un vocabulaire soit déplacé, soit simplifié, soit "neutralisé".
  • construire un questionnaire qui permette aux gens qui n'ont pas beaucoup de choses à dire (ceux et celles qui ne font pas "vraiment" au quotidien un usage sentimental ou sexuel du web par exemple) de se sentir concerné.e.s par la possibilité de répondre, sans pour autant avoir à lire toutes les questions qui s'adresseraient aux gens qui ont un usage de rencontre intensif du web par exemple.
  • ne pas utiliser de vocabulaire spécifiquement lié aux plateformes ou aux objets techniques (pas de "like" ni "RT", pas de "itune store" ni de "android market", etc.)
  • concevoir un questionnaire qui soit le plus inclusif possible au moins au niveau des catégories proposées à cocher (son ergonomie n'étant pas spécialement adaptée à certains handicap, par exemple, mais je n'avais aucun pouvoir dessus...), tout en permettant aux gens privilégiés (c'est-à-dire se trouvant du bon côté de la discrimination par les rapports sociaux) de ne pas peiner plus que d'autres à répondre.

Ces points mériteraient d'être explicités, justifiés et développés chacun isolément, mais les lister ici sert principalement à comprendre la suite de ce post et les remarques qui m'ont été adressées depuis sa mise en ligne. Ce questionnaire est le résultat d'un ensemble de compromis entre des enjeux politiques et identitaires, des contraintes bassement matérielles, des injonctions ou des choix méthodologiques, etc. Pouvoir discuter de son impact, de son design, de ses contenus avec les répondant.e.s est riche d'enseignements, et me permet de prendre concrètement la mesure plus générale de certains problèmes dans la façon de construire ce type d'outils en sciences sociales face au domaine spécifique des sexualités et des affects. Aussi, dans le post suivant, je développerai plus en détail certains points concernant les choix heureux ou malheureux des catégories et de leur ordonnancement pour certaines questions.

(à suivre...)


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