webINTIM 2

À propos du questionnaire webINTIM : F.A.Q. et précisions - 2

Dans un post précédent, j'ai raconté rapidement comment j'avais construit le questionnaire webINTIM. Ici, j'entre un peu plus dans les détails, notamment ceux qui concernent le choix difficile des catégories et des formulations. En effet, l'une des conditions de retour du questionnaire consiste avant tout à ce qu'il ait été lisible par un grand nombre de personnes aux cultures sexuelles au mieux différentes, mais parfois aussi en conflits, et il est très loin d'être simple de choisir les bons mots. C'est d'ailleurs dans ce genre de situation que l'on comprend combien les cultures sexuelles produisent des univers lexicaux très (très) différents.
J'ai regroupé les questions qui suivent par thèmes, et j'ajouterai ou complèterai, si besoin, chaque partie dans les semaines à venir.

Comment comprendre les termes "rapports", "relations", etc.

Je considère que ces termes sont des outils qui aux gens à raconter, se positionner, ou encore prendre parti dans une situation, et donc que ces termes ne prennent sens que contextualisés. Je ne cherche pas à en donner, de mon côté une définition précise, puisque je ne m'intéresse à la manière dont il.le.s vont parler de leurs usages du web en contexte sexuel, ;-) . Il faut se rappeler une chose toute simple, c'est que, déjà, l'emploi de ces termes est genré, c'est-à-dire que femmes et hommes n'en font pas le même usage et ne leur donnent pas systématiquement les mêmes significations : lorsque l'on demande à des hommes et des femmes de compter le nombre de leurs partenaires sexuel.le.s, il s'avère que les hommes ont (avaient ?) tendance à compter toutes leurs partenaires sexuelles (au sens de rapport sexuel, unique) et que les femmes ne dénombraient que les partenaires "qui avaient compté" dans leur vie, en somme les types avec lesquelles elles avaient vécu une grande passion ou une relation longue.

Bon, c'est une anecdote relativement rabâchée en sciences sociales, mais elle indique bien le caractère tout à fait relatif de l'emploi et de la compréhension de ces termes en contexte sexuel, et dans ce cas, à la fois l'équivalence (les deux termes répondent à une même question), et leur différence (ils ne répondent pas pour les mêmes raisons à la même question). Or, le questionnaire doit se construire autour de questions qui peuvent être lues par tout le monde, aussi les chercheurs doivent choisir souvent entre deux options : accepter que des termes fassent consensus dans leurs usages, mais pas dans la signification qui leur sera accordée, ou l'inverse, que tout le monde soit d'accord sur la signification d'un mot, mais qu'une portion importante des gens ne l'utilisent pas personnellement. Bref, rien n'est jamais parfaitement établi. Bienvenue en sociologie ! ;-)

Les termes "sentimental", "affectif" et/ou "amoureux" se valent-ils ?

Cette question est absolument centrale dans la compréhension des cultures sexuelles, notamment de la façon dont elles se définissent les unes par rapport aux autres, ainsi que dans la façon dont individuellement on évaluera une situation... affective. Ces trois mots, "sentimental", "affectif", "amoureux" ne sont pas du tout synonymes lorsqu'ils sont sortis de tout contexte, et pourtant, ils se trouvent souvent, dans des contextes variés, soit incarner tous les trois l'antonyme parfait du terme "sexuel" (pour, à de tout autres moments, l'inclure et le signifier), soit se valoir entre eux, deux par deux en opposition au troisième. L'affection et les sentiments liés à la vie conjugale (forcément routinière :) ) peuvent se voir opposés abruptement à la passion amoureuse la plus sauvage ; la sentimentalité peut être entendue à son tour comme le véritable moteur de toute vie affective, mais dans un sens plus romantique (au sens de romantisme philosophique et artistique), et se retrouver par quelques détours logiques à inclure totalement les emballements sexuels ; par ailleurs, lorsqu'il s'agit de qualifier une relation, la première alternative qui vient à l'esprit c'est souvent "relation sentimentale ou amoureuse" vs. "plan cul" (les deux étant pourtant plus ou moins explicitement sexuelles...), et les sites de rencontre engagent peut-être une systématisation de cette logique.

Une femme interviewée par J-C. Kaufmann dans son livre "Sex@mour" avait inventé l'expression P.C.R.A., le "plan cul relationnel affectif", afin de formuler un type de relations qui lui semblait bien plus intéressant pour elle que l'alternative sus-mentionnée. Et puis, on sait aussi que, en pratique, les plan culs s'arrangent bien des promesses d'amour ou même de l'ombre de quelques sentiments... Et vice versa. L'expression qui a été pointée plusieurs fois comme posant problème à des répondant·es, "dans le cadre d’une relation affective plutôt instable avec un·e seul·e partenaire sans cohabitation", a été en fait suggérée par une femme de 35ans qui vit une relation avec un homme marié (mais qui n'a pas de rapports sexuels dans ce cadre-là), leur relation dure depuis plusieurs années, iels ne partagent pas le même logement pour autant, mais travaillent ensemble, etc.

Bref, si la terminologie semble confuse une fois décontextualisée, cela n'oblige absolument pas à confondre ces trois termes, c'est évident. Dans le cadre de ce questionnaire, j'ai dû opérer un arbitrage un peu à la hache, et, pour m'assurer de la pertinence générale (mais pas systématique !) de mes choix, je m'en suis souvent remis aux données du terrain pour les formulations : le plus souvent, l'emploi de l'un de ces termes provient d'interviews que j'ai faites avec des personnes dans les années passées, ou bien de formulations que j'ai maintes fois croisées sur les sites de rencontre et/ou les plateformes de partage de porno. Toutefois, à aucun moment du questionnaire, "affectif" ne désigne des relations amicales, simplement amicales. Et, le plus souvent, dans ce questionnaire, si l'on doute de la signification d'une formule, c'est très probablement qu'il ne faut pas la cocher ;-)

Sur les catégories "cis-" et "trans-" dans la question sur le sexe|genre

On m'a posé des questions différentes sur l'emploi qui est fait ou n'est pas fait de ces catégories dans le questionnaire, mais deux questions ont pris le dessus :

une question sexe|genre ou bien deux ?

Il est important de comprendre dans quel ordre j'ai construit le questionnaire. En premier lieu, il s'est agit de construire un outil différent des questionnaires que j'ai vu fonctionner ces dernières années, et mon premier objectif consistait à ne pas reproduire le genre d'écueil qui consiste à reléguer les identités trans' dans la case "orientations sexuelles" (présentées le plus souvent ainsi : "hétéro", "homo", "bi", "transexuel/genre"). Et pour permettre la représentation des personnes trans', il me fallait intégrer au questionnaire un module de déclaration du sexe|genre des répondant.e.s qui ne se résume pas aux deux seules catégories binaires et exclusives d'"homme" et "femme" qu'emploient encore la majorité des études sur le numérique (et malheureusement sur bien d'autres sujets encore...). Donc, en fait, travailler à permettre la représentativité des personnes s'identifiant comme "cis-" (pour cis-genre) n'était pas une priorité, à ce moment-là.

Je n'ai pas intégré la catégorie "cis-" parce que c'est une catégorie qui désigne majoritairement des personnes qui, soit ne connaissent pas sa signification , voire même son existence, soit ne l'utilisent pas pour s'identifier elles-mêmes. les personnes désignées comme "cis-" le sont la plupart du temps par des personnes qui ont (ou accordent une importance à) un point de vue extérieur, c'est-à-dire les personnes trans' et leurs allié·es. Cette désignation comme "cis-" est le retournement d'un stigmate et d'une domination : en désignant d'une catégorie qui rend perceptible un certain état du corps et de la personne "cis-", autrement invisibilisé par son é-vidence, état chargé d'un pouvoir hégémonique et normatif en étant plus ou moins "activement" rendu INDISCUTABLE, une personne trans' s'accorde le droit dont elle était privée jusque là, de devenir sujet actif dans les assignations identitaires liées au genre (et ensuite, en parallèle, aux sexualités), là où jusqu'ici, elle n'avait que le droit d'en être l'objet.

avoir au moins une catégorie à laquelle quelqu'un·e saura s'identifier ?

Or, ne l'oublions pas, le questionnaire que j'ai créé est déclaratif ET auto-administré, c'est-à-dire que :
1- les gens répondent ce qu'iels veulent, a fortiori, ce qu'iels peuvent...
2- puisque j'ai choisi un questionnaire dans lequel on coche des réponses, j'ai tenté de proposer les réponses que les répondant·es seraient susceptibles d'utiliser pour eux/elles-mêmes, seul·es face à leur écran.
S'il peut engager un certain travail réflexif, ce questionnaire ne constitue en aucun cas une grille d'évaluation des gens qui le remplissent (ce N'EST PAS un test !). Il faut le considérer plutôt comme un moyen de représenter de façon panoramique l'ensemble des variations dans les déclarations des personnes qui y auront répondu. Aussi, les personnes "cis-" ne s'identifiant pas d'elles-mêmes comme "cis-" n'auraient pas été en mesure de répondre, et les personnes "cis-" s'identifiant comme "cis-" volontairement étaient, en principe et en revanche, tout à fait en mesure de s'identifier suivant les catégories "homme"/"femme". C'est la première raison pour laquelle je n'ai pas posée une question à part dans laquelle chacun.e aurait eu à se situer comme "cis-" ou "trans-". Mais la construction de cette question ne s'est pas arrêtée là...

Donc, contraint à l'affichage d'une seule question sur le sexe|genre, j'ai tenté de fournir des catégories qui pourraient correspondre au plus grand nombre et pour ce faire j'ai tenté de sortir de l'usage habituel des catégories de sexe|genre par mes collègues. Il faut imaginer que, habituellement, elles sont absolument exclusives les unes des autres : cocher "homme" signifie dans le même temps que l'on se déclare comme "non-femme", et ce n'est pas négociable. Sauf que cette manière de procéder commence à être totalement inadaptée aux usages contemporains des catégories de sexe et de genre (bien entendu il ya des pages et des pages à rédiger sur ce point). À mon petit niveau, avec ma nouvelle liste de catégories pour déclarer son sexe|genre, on devrait effectivement être en situation de pouvoir se déclarer "homme" ET "trans-", etc. Le fait que les catégories "homme", "femme" et "trans'" se trouvent affichées en parallèle au sein de la même question ne provient en aucun cas du fait que je les considérerais comme inconciliables et inarticulables entre elles, mais bien du fait que des populations différentes les utilisent chacune pour se décrire individuellement.

Quand la technique s'en mêle...

Le plus simple aurait donc consisté à autoriser les répondant·es à cocher plusieurs cases, et alors il y aurait eu des gens qui cochaient seulement "homme", et d'autres qui cochaient "homme" et "trans'", et d'autres "homme" et "cis-", etc. Sauf que c'est à cet endroit que les problèmes techniques viennent compliquer l'affaire :
1- je ne sais pas comment traiter statistiquement ce type de résultats (mais j'y travaille depuis que la question s'est posée à moi...)
2- ça ne réglait pas du tout un autre problème, celui de la très grande diversité des identités trans' et de leur combinaison, articulation, ou rejet complet, avec les catégories binaires "homme" et "femme"

C'est à ce moment-là que j'ai inséré plusieurs autres lignes à cocher, "transFTM", "transMTF" que je savais être employée par des personnes les préférant à la catégorie parapluie "trans'" et ne désirant pas cocher "homme" ou "femme". J'ai inclus la possibilité d'une catégorie de "genre non-binaire", même si elle n'était évidemment pas assez précise en tant que telle. et j'ai ajouté en fin de compte la catégorie "autre" avec son champ remplissable afin qu'une personne désirant s'identifier comme "homme trans'" puisse le faire sans avoir besoin de cocher plus d'une case. Idem pour quelqu'un qui voudrait se déclarait comme "homme cis-" ( ce que j'aurais fait pour ma part...), ou encore "pédé", ou "femme androgyne", etc. Pour autant, comme je l'ai marqué plus haut, une personne s'identifiant comme "homme trans-" peut tout à fait, puisque je n'ai pas posé de question spécifique sur ce point qui demanderait des réponses complètes et exhaustives de la part des répondants, se déclarer simplement "homme", vraiment, c'est le jeu du déclaratif...

Concernant la case "autre", j'aurais beaucoup aimé pouvoir reformuler l'expression 'autre' afin de ne pas insuffler une sensation d'altérisation à son usage. Mais, c'est un module générique du logiciel (qui pourrait aussi s'appliquer à une question du genre : votre légume préféré ? A/ les patates, B/ les navets C / autres), et je n'ai pas eu techniquement la possibilité d'en changer l'énoncé ; si j'avais contourné le module automatique 'autre', j'aurais perdu l'intégration du champ remplissable permettant de spécifier l'expression que les répondant.e.s ayant coché "autre" préféraient voire employée à leur égard. Dans l'idéal, une formule du type "si aucune des catégories listées ci-dessus ne vous convient, veuillez inscrire celle qui aurait eu votre préférence", ou quelque chose d'équivalent.

(à suivre)


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