#Xroads2012 + quelques remarques sur l'organisation des LT

Voici que se termine le Crossroads in Cultural Studies 2012, il a eu lieu à Paris cette année, et j'en ai parlé sur culturevisuelle tout simplement parce que j'y intervenais avec deux collègues F. Vörös et KP. Hofer pour une session sur les affects discutée par S. Paasonen. Le crossroads s'est déroulé sans encombres grâce à une organisation sans failles. Il a accueilli je ne sais plus combien de centaines de sessions, avec son pesant d'interventions de haut vol et de speeches hilarants, de rencontres heureuses et de boulets, d'échanges frénétiques de cartes de visites, et de personnes que l'on a croisées sans jamais comprendre ni d'où elles sortaient ni qui elles étaient. Bref, un congrès scientifique de grande ampleur.

logo CrossRoads in cultural Studies Paris 2012

Un seul regret pour moi, qui ne change pas grand chose à l'intérêt de l'événement en lui-même, reste la qualité moyenne du livetweet, alors que c'est un mode de diffusion qui pourrait, il me semble, être largement mieux encadré et surtout préparé en amont... Voici le pdf qui rassemble les tweets du LT (récupéré par le site tweetdoc.org et recomposé dans la mesure du possible par mes soins).

Du coup, je note ici quelques remarques, qu'il faudra surement augmenter plus tard, remarques qui s'appuient essentiellement sur l'expérience de 3 gros congrès de sciences sociales suivis (offline ou online) en une année, ainsi que d'une dizaine d'évènements plus petits (entre 50 et 500 personnes).

Mieux vaut prévenir que guérir

il me semble que pour que le Livetweet se passe bien dans un congrés qui accueille entre 500 et 1500 participants, il faut prévoir un peu la présence de twitter à l'avance, dans la mesure où environ 3 semaines avant l'événements, les premiers tweets sur le congrès commencent à poindre. Il est possible de créer un compte twitter dédié, comme l'avaient heureusement fait @crossroads2012 et @asanews), qui permet non seulement d'informer les internautes au fur et à mesure de l'approche du congrès, mais ensuite de participer au LT durant le congrès. Sans compte dédié à l'événement, ce n'est pas la panique pour autant. Les chercheurs sont des êtres vaguement civilisés et s'organisent alors par eux-mêmes pour choisir le hashtag en ligne. Cela ne prend pas beaucoup de temps, mais peut échauffer certains egos un peu sensibles...

Parce qu'en effet, la création du compte dédié n'est pas suffisante dans la préparation du LT lui-même, en ce que le LT relève d'un autre genre d'usages de twitter (ou identi.ca, ne l'oublions pas, j'y reviendrai prochainement) que de l'information générale sur l'événement, que de logistique et de présence publicitaire. Il faut créer le hashtag qui va servir à articuler dans un même document (que ce soit la timeline sur la page web ou à l'écran du mobile, ou encore le pdf final, etc.) et du coup l'entretenir un petit peu durant les semaines qui précèdent le congrès. Le cas de Crossroads est amusant : ayant d'abord choisi le hashtag #CS2012, il s'est avéré, moins d'une semaine avant le début des conférences, que ce # était déjà occupé pour la même semaine par un rassemblement évangéliste au USA. Là, les effets de la globalisation se font âprement sentir :-D et envisager de partager un hashtag dans ces conditions serait pour le moins fanfarron. Le seul moyen de s'en sortir dans ce cas, reste de changer pour un autre tag.

Choisir un hashtag en pensant à ceux qui l'utillisent

Le hashtag doit être court : 4 ou 5 caractères grand maximum : #asa11 ou #Xroads2012 sont deux bons repères : le premier tient en 5 lettres, et, chose ergonomiquement essentielle, se tape très facilement d'une seule main autant sur un clavier d'ordinateur que sur un clavier de mobile (tactile ou physique). Le second est un désastre, autant au niveau du nombre de lettres que de son ergonomie... (j'avoue rédiger ce post essentiellement pour pouvoir tirer une plus-value de l'énervement accumulé pendant une semaine à taper les caractères : # X r o a d s 2 0 1 2 ! ! !!! #XR12 aurait été tellement super à la place) bref, n'y pensons plus.

Le hashtag doit être court particulièrement pour les grands congrès qui voient se multiplier les sessions tenues en parallèle. En effet, pour peu que le nombre de livetweeters soit suffisant pour en croiser deux ou trois dans une session, il faut qu'ils puissent utiliser un second hashtag qui ne durera que le temps de la session afin d'identifier ce qu'ils en transcrivent au beau milieu des comptes rendus des autres sessions mélangés au sein du même hashtag général. Le numéro de session, s'il est simple et court, ou bien le numéro de salle, lorsque que toutes les sessions se situent dans un même bâtiment, ou enfin le numéro du groupe de travail, ou bien la page du programme du congrès qui contient les résumés et l'ensemble des informations techniques. Dans ce dernier cas, il est assez important que les organisateurs précisent la manière à choisir afin que les participants puissent rapidement harmoniser leurs notations.

Intégration du LT dans la vie du congrès

Il est important de considérer que le LT d'un congrès ne se déroule pas de la même manière que le LT d'une seule conférence, pas plus que son archivage n'aura les mêmes objectifs. Reprenons les trois fonctions principales du LT de conférence scientifique qui ont été décrites ailleurs, c'est à dire :

  • le back-channeling (cf. d. boyd et mes posts précédents sur les LT)
  • la scripto-diffusion (l'effet léonZitrone, "je tweete tout ce que j'entends/vois" : cf. mon LT de #lumiR
  • la documentation additionnelle (par la mise en ligne de liens et de documents liés à la conférence, etc.)

il faut bien comprendre qu'un congrès dédouble certaines de ces fonctions en réarticulant leurs usages en tant que stream/flux et en tant qu'archive à plus ou moins court terme (ne serait-ce que pouvoir relire ce qui s'est dit le matin même) : par exemple la fonction de scripto-diffusion, donc de retransmission écrite du propos de l'intervenant au fur et à mesure de la conférence, prend un rôle spécial, lorsqu'il permet non pas de seulement avoir accès au contenu de la conférence à distance, mais de pouvoir, au sein du congrès lui-même, choisir dans quelle session se rendre (on se souviendra du vide généré par @cultord dans certaines sessions parallèles de #AFS11, alors qu'il faisait un LT captivant de l'intervention de VJ. Perrier, et que des gens se retrouvaient au croisement de couloirs pour courir assister à ce qui leur semblait être la seule conférence à suivre de l'après midi - effet "LiveTweet enchanté").

Sur un tout autre plan, la documentation additionnelle peut tout autant être liée à des interventions ponctuelles, qu'à des sessions entières, qu'à servir de passerelles entre des sessions : mais en gros, un éléments additionné par le LT lors d'une session, et donc vu/lu par les participants/tweeters, peut, le lendemain, parce qu'il est encore frais dans la mémoire des participants et très facilement accessible, être réintégré directement dans une autre session. Le cas des sessions "media et affects" et des session "porn studies" lors du crossroads2012 ont trouvé bien des documents à partager, autant sur les écrans des smartphones dans les conversations de couloir, que dans les discussions durant les panels.

Le back-channeling enfin est particulièrement complexe à cerner dans le cas d'un congrès, précisément parce que les congrès scientifiques de grande ampleur sont organisés autour de la nécessité de structurer des champs (disciplinaires, thématiques, etc.). Ils se construisent entre des séances plénières qui actualisent et performent le groupe entier et lui permettent de se représenter à lui-même (la première journée d'introduction de Crossroads dans l'amphithéâtre de l'UNESCO, la séance d'élection du nouveau bureau de l'AFS dans l'amphidice de Grenoble, etc.) et des sessions qui permettent aux sous-groupes, thématiques le plus souvent, de se représenter et de partager des temps plus ou moins isolés de l'ensemble. En somme, un congrès est l'un des moments où un champ rejoue et réactualise sa structure et les jeux de forces qui le fondent, notamment en rendant visible des prises de position en terme de contenus scientifiques articulables.

À l'échelle d'une seule conférence, le backchannel sert essentiellement à commenter en direct le contenu de l'intervention. Or le backchannel, dans le cas d'un congrès, en documentant les commentaires faits sur les contenus de chacune des interventions parallèles, offre, dans un effet assez panoptique, la possibilité de rendre visible certaines des connexions entre des prises de position locales et théoriques et des prises de position générales et sociales/interactionnelles de certains intervenants. Cela peut paraître anecdotique, mais il me semble bien que ce n'est vraiment pas un instrument négligeable, pour peu que l'on accepte l'idée que le monde de la science n'est pas peuplé de bisounours baveux d'amour, ni de paranoïaques mutiques, [bon après avoir rédigé ce paragraphe, je me dis que les premier à ne pas vouloir entendre parler de ce genre d'outils sont peut-être ceux qui organisent les congrès :-D mais je n'en suis pas encore certain...]. Un exemple, tout de même : lorsqu'il est énoncé dans un congrès de cultural studies que le patriarcat n'est plus, et que le féminisme est devenu inutile, le fait de poser ce discours dans un panel avec dix auditeurs n'a pas le même impact que de discuter de ce que signifie ce type de discours dans un cadre théorique plus vaste, mais aussi dans un cadre institutionnel plus vaste que le petit groupe de la session. (pour ceux qui ne voient pas le problème dans mon exemple, c'est un peu comme si on disait que l'argent n'existe plus en économie, ou que l'inconscient n'existe pas en psychanalyse, c'est-à-dire que c'est une posture éminemment polémique).

Ces 3 longs paragraphes pour dire une chose tout simple : la pratique du LT peut largement se glisser et s'intégrer sur bien des plans intéressants du déroulement d'un congrès scientifique, et bien au-delà du simple cumul condensé des LT de chacune des conférences/communications qui s'y déroulent.

Et si "ça" tweete pas ?

Lors d'un congrès, les premières séances sont souvent à la fois très chargées symboliquement, en ce qu'elles jouent à la fois le protocole interne et l'image extérieure du champ (les journalistes ne viennent que la première heure...), et sont quasi systématiquement zappées par les livetweeters les plus acharnés (le crossroads n'a vu s'amorcer son LT de façon décente qu'à partir du 3ème jour !!). Ce sont souvent aussi les premières heures durant lesquelles les gens n'ont pas le mot de passe WIFI (quand on a la chance d'éviter le #WIFIFAIL , pour le coup, on a bien cru que Paris 3 allait griller Porquerolles et Las Vegas réunis) (NOTA : en deux ans, je n'ai assisté à aucun événement scientifique de plus de 4 heures qui n'a pas subi un #WIFIFAIL, c'est la méga honte - Geneviève devrait régler ce genre de problèmes vite fait), ou bien n'entendent rien parce que les salles résonnent ou les micros sifflent, etc. Il est bon de penser à tester le wifi la veille ou l'avant veille quand on est organisateur, de la même manière que l'on s'assure de la présence du café et des croissants (je n'ai jamais assisté à un événement scientifique de plus de 4 heures où il n'y avait pas ces merveilleux petits croissants grassouillets et le café bouilli et rebouilli des thermos, comme quoi, quand on veut, on peut...).

Pour assurer les premières conférences, pourquoi ne pas demander à quelques étudiants de master, ou quelques volontaires, d'assurer le LT, au moins d'en amorcer les premiers tweets, jusqu'à ce que les participants s'y mettent eux aussi ? Parce qu'un dernier enjeu spécifique aux congrès peut se jouer dans le LT des moments les moins tweetés comme le début des plénières ou bien les conférences les moins fréquentées. C'est le fait que la réunion des chercheurs prend du temps, naturellement, parce qu'ils doivent se déplacer, s'habituer, prendre des repères, etc. Mais, il est aussi tout autant évident que 5 jours de congrès signifient pour à peu près tout le monde 5 jours intenses de boulot (avec une bonne soirée au milieu tout de même!), et qu'un LT permettrait peut-être, non pas de réduire les temps de latence et d'adaptation au lieu et aux us du congrès, mais simplement d'en réduire l'impact en enregistrant ET restituant au fur et à mesure les temps les moins faciles à suivre...

Enfin, il y a des congrès où très peu de monde tweete, pour le coup, le crossroads n'a vraiment tenu un LT que grâce à une minuscule dizaine de personnes constantes et une vingtaine un peu moins assidues, tout ça sur 1400 participants. Au-delà du constat que ce genre d'outil n'est pas du tout intégré, ni même peut-être intégrable, par nombre de chercheurs dans leurs pratiques, il s'avère qu'un certain nombre d'entre eux n'ont a priori aucun problème avec les media sociaux : les deux usages principaux des sites de réseaux sociaux pendant les congrès que j'ai pu observer récemment sont :

  • documenter le congrès (c'est à dire exactement faire du live tweet) avec un compte facebook
  • regarder le livetweet toutes les trois minutes sans jamais rien y inscrire

Bon, pour le premier cas, je ne vais pas m'étaler (surtout qu'on trouve là certaines personnes importantes des media studies d'aujourd'hui, #fail #fail #fail) : commenter une conférence sur sa page facebook revient à faire tout le travail du LT, sans aucun des intérêts que constituent l'archivage accessible d'un événement et le croisement des contenus du LT avec d'autres lieux/types de documentation. En effet, facebook est un site qui interdit l'accès aux contenus générés par ses abonnés aux personnes qui n'y seraient pas déjà inscrites, et le principe des "amis", à l'intérieur du site, inclue que seules certaines personnes peuvent accéder aux contenus générés par d'autres. On pourrait surement envisager de crérer une page "fan" sur fb dédiée à l'événement, que cette page aurait son wall, etc. mais bon, c'est un peu tordu...

Pour les autres types d'utilisateurs du LT, ceux qui ne font que lire, il me semble d'abord que c'est normal, que twitter est réputé pour n'avoir qu'un faible pourcentage de producteurs de contenus et un fort pourcentages de lecteurs. On peut toutefois compter sur le fait que plus le cadre de cette pratique sera clairement identifié, adapté et valorisé dans les congrès, plus les utilisateurs seront enclins à s'y mettre. Il sera d'autant plus évident que ce type de streaming puis d'archive peut servir en premier lieu aux personnes qui ne sont pas des hardcoreTweeters, et qui n'utilisent même peut-être pas leur compte twitter à d'autres moments de leur vie, mais pourraient en tirer bénéfice, autant parce que les informations contenues dans un livetweets sont à même d'enrichir le fameux programme de 2 kilos édité avant chaque congrès (ah zut j'ai oublié de parler de ça, une belle composition transmédia et intertechnologique à réfléchir), et de participer à l'élaboration d'un rythme commun, raison d'être des mêmes congrès.


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